La haine de la musique
Depuis ce que les historiens appellent la « Seconde Guerre mondiale », depuis les camps d'extermination du IIIe Reich, nous sommes entrés dans un temps où les séquences mélodiques exaspèrent. Sur la totalité de l'espace de la terre, et pour la première fois depuis que furent inventés les premiers instruments, l'usage de la musique est devenu à la fois prégnant et répugnant. Amplifiée d'une façon soudain infinie par l'invention de l'électricité et la multiplication de sa technologie, elle est devenue incessante, agressant de nuit comme de jour, dans les rues marchandes des centres-villes, dans les galeries, dans les passages, dans les grands magasins, dans les librairies, dans les édicules des banques étrangères où l'on retire de l'argent, même dans les piscines, même sur le bord des plages, dans les appartements privés, dans les restaurants, dans les taxis, dans le métro, dans les aéroports.
Même dans les avions au moment du décollage et de l'atterrissage.
Même dans les camps de la mort.
L'expression Haine de la musique veut exprimer à quel point la musique peut devenir haïssable pour celui qui l'a le plus aimée.
Pascal Quignard
(1996). La haine de la musique
, Calmann-Lévy