J'avais vu jadis une série d'émissions sur Arte qui m'avait marqué : les Young People's Concerts, les concerts pour les jeunes, présentés et animés de main de maître par Léonard Bernstein himself. Je me souviens particulièrement de deux d'entre elles et je vais vous les présenter ici, en essayant de respecter au maximum l'esprit original ; j'ai juste adapté quelques petites choses en y mettant aussi mes commentaires enflammés ;-) Je ne dispose plus des vidéos mais on peut retrouver le script de chaque épisode sur le site de Bernstein. Voici le lien direct vers le script de l'article d'aujourd'hui. On pourrait trouver ces émissions un peu vieillies aujourd'hui mais je les trouve au contraire toujours aussi inspirées. Il suffit juste de remettre tout ça un peu dans le contexte. Bernstein est au sommet de sa gloire après West Side Story, il dirige le Philarmonique de New-York, bref c'est un musicien accompli. Il se consacre beaucoup à la pédagogie et il va présenter une série d'émissions télévisées enregistrées au célèbre Carnegie Hall.
Que signifie la musique ?
Dans cet épisode, Bernstein se lance dans un exercice redoutable : tenter de répondre à la question que signifie la musique ? Personnellement, c'est le genre de question que je fuis, mais Bernstein, assez sûr de lui et de son talent, va se lancer dans la bataille avec force et naïveté à la fois, curieux mélange qu'on trouve souvent chez les américains ;-) Et je dois avouer qu'il s'en tire honorablement, sans jamais trop s'engager sur le terrain philosophique. Mais laissons parler le maître…
À l'écoute de l'ouverture de Guillaume Tell de Rossini, on pourrrait être tenté, si on nous demandait le lieu de l'action suggéré par cette musique, de répondre : le Far-West ! Effectivement, il nous vient des images de cow-boys, de bandits, de chevaux, l'ouest sauvage, tout ça quoi. Au risque de vous décevoir, je dois vous avouer que ce ne sont que les notes Mib et Fa#. Vous voyez, peu importe combien de fois les gens vous ont raconté des histoires sur la signification de la musique, oubliez-les ! La musique ne signifie pas du tout « histoires ». « La musique ne parle jamais de rien. La musique est. Tout simplement. » 1 La musique c'est des notes, des sons et de belles notes assemblés de façon à nous procurer du plaisir à leur écoute, et c'est tout. Lorsque nous nous demandons qu'est-ce que cela signifie, qu'est-ce que ce morceau signifie ?, alors nous posons une question très difficile. Et c'est la question à laquelle nous allons tenter de répondre dans cet article.
Les sons et les mots
Quand vous dites « Qu'est-ce que cela signifie ? », ce que vous dites vraiment c'est « Qu'est-ce que cela essaye de me dire ? », ou « Quelles idées ça provoque en moi ? ». Tout comme les mots ; Lorsque vous entendez des mots, vous obtenez des idées à partir d'eux. Si je vous dis “ Je me suis brûlé le doigt ! », alors immédiatement vous comprenez ce que j'ai dit ou vous avez certaines idées. Vous obtenez l'idée que je me suis brûlé le doigt, que cela me fait mal, que je risque de ne pas être en mesure de jouer de la guitare pendant un certain temps, ou que j'ai une voix très forte lorsque je crie, beaucoup d'idées différentes comme ça. Ce sont des mots. Mais si je joue des notes, quelques notes sur la guitare, comme ceci Les notes ne vous disent rien ; Ces notes ne sont pas une brûlure sur votre doigt, ou des fusées, ou un abat-jour, ou des voitures, ou quoi que ce soit. Eh bien, que sont-elles ? Elles sont la musique. Par exemple, prenez ce morceau de Chopin Merveilleux, n'est-ce pas ? Mais quel est l'objet ? Rien !
Ou prenez cette Sonate de Beethoven Ça ne parle de rien qui existe.
Ou bien prenez ce morceau de boogie-woogie Il ne s'agit de rien non plus. Aucun de ces morceaux n'est quelque chose, mais on a tous du plaisir à les écouter.
Pourquoi devraient-ils être amusants à écouter ? Je ne sais pas ; Cela fait partie de la nature humaine d'aimer écouter de la musique. Vous voyez, les notes ne sont pas comme des mots, pas du tout. Parce que si je vous dis un seul mot comme « fusée », immédiatement vous avez une idée ; Vous voyez une image dans votre esprit. Fusée ! Espace ! Cosmonaute !
Mais si je joue une note, une note toute seule ne signifie rien C’est juste un bon vieux Mi. Un son, c’est tout ! Aigu ou grave, fort ou doux, un son qui peut sembler très différent si je le joue ou si je le chante ou si un hautbois le joue ou un trombone… Très différent ! Il s’agit toutefois de la même note, mais avec un timbre (son) différent. Toute musique est une combinaison de sons… comme celui-ci ou ou
- La musique se révèle non seulement impuissante par nature à peindre ou à exprimer quoi que ce soit, mais ce n'est pas sa vocation ou sa fonction : prise dans sa vraie nature, elle ne renvoie qu'à elle-même. On ne nie pas son pouvoir d'évocation, ni la possibilité qu'a l'auditeur de lui associer toutes sortes de représentations : quand par exemple l'oeuvre est écrite sur un texte qui impose sa présence, ou quand le compositeur, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, propose lui-même de semblables associations au moyen de titres, de programmes, de commentaires ajoutés ; c'est encore le cas si les éléments du discours musical répondent à un code familier à un certain public, à une certaine époque ; et l'on ne prétend pas, de toute manière, interdire à l'auditeur de mêler à l'écoute d'un morceau ses rêveries personnelles ou les images que lui suggère son imagination, totalement arbitraires dans ce cas. Mais toutes ces évocations ou suggestions, inévitables et même légitimes du point de vue de l'écoute, ne doivent pas dissimuler que l'œuvre musicale ne signifie que par accident, que sa fonction essentielle et sa valeur propre ne résident en aucun cas dans ces différentes formes de renvoi à autre chose qu'elle. R. Muller et F. Fabre, Philosophie de la musique, p.38, VRIN, 2013 Ou Stravinski : « Je considère la musique, par son essence, impuissante à exprimer quoi que ce soit : un sentiment, une attitude, un état psychologique, un phénomène de la nature, etc. ». La croyance contraire est une illusion, due aux conventions qui ont imposé à la musique des contenus comme autant d'« étiquettes ». La force de cette illusion vient de l'inculture des auditeurs, qui ne peuvent comprendre ce qu'ils entendent s'ils n'y retrouvent des sensations et des émotions familières ; aussi cherchent-ils dans la musique autre chose qu'elle, ce qu'elle exprime, ce que l'auteur "avait en vue". Une des sources de cette inculture réside malheureusement dans l'enseignement musical, où même les professionnels sont nourris de niaiseries sentimentales. Stravinsky, Chroniques de ma vie, Denoël, 1971, p.63
2 Responses
Merci d’avoir restituer cette belle leçon sur le (non)sens de(s) la musique(s) mais d’une utilité infinie, selon Léonard Bernstein.
Merci pour lui Françoise.
C’était un grand bonhomme Bernstein. Je vais mettre à jour cet article prochainement car je prépare une conférence à partir de ce texte et je vais l’enrichir encore autour de cette question du sens de la musique.
Jack