Joe Pass a toujours été un de mes musiciens de jazz favoris, et j’ai appris pas mal de choses sur le jazz, et sa pratique guitaristique, à travers la lecture de plusieurs de « ses » livres, mais je viens de regarder une vidéo fort instructive.
Je dis « ses livres », mais en fait, je me suis aperçu, au fil du temps, qu’il n’en avait écrit aucun… Ce sont des livres sur lui et son jeu de guitare, de très bons livres parfois, avec des relevés assez précis, mais ce ne sont pas ses livres !
J’insiste sur ce point, parce que j’ai découvert, à la suite du visionnage de plusieurs vidéos de Joe, et de quelques interviews, qu’en fait, il n’avait eu aucune envie d’écrire un livre, et encore moins une méthode de guitare jazz. Mais pour autant, il n’est pas avare de bons conseils, sur la meilleure de façon de devenir un bon musicien de jazz, c’est même un excellent pédagogue ! Je voulais donc ici, écrire un petit florilège des conseils de Joe (traduits par moi-même).
Anecdotes
Joe ne répétait jamais… C’est une habitude prise avec Oscar Peterson. Ce qui n’empêche pas de travailler, seul, chez soi. Joe ne répétait pas, il jouait quand il en avait envie.
Joe est né dans une famille de non-musiciens, donc il estimait que c’était un don de Dieu, pas de la chance…
Il a appris dans le magasin de musique du coin de la rue où il y avait une section Disques et il a appris directement d’après les disques qui passaient. Il découvrit Charlie Parker (Le morceau Shaw ‘Nuff) et voulut alors jouer de la guitare comme un cuivre. Il décida d’éviter tous les clichés à la guitare (Aucun plan de Charlie Christian ou de Django Rheinhardt par exemple…).
« Je n’ai jamais enregistré quelque chose sans erreur (mistake) ou pain (glitch), c’est ma signature ! » (trademark)
Principe premier
Le principe premier – qui fonde sa méthode/pédagogie – c’est de jouer des morceaux (play tunes) ! Pas des gammes, des plans ou des grilles, des morceaux ! Des chansons, des airs, son père lui demandait d’ailleurs tout le temps, enfant (13/14 ans), de prendre sa guitare et de venir jouer des « trucs » pour lui et ses potes, à la maison. Donc Joe a dû mettre au point tout un répertoire d’airs connus, tirés des comédies musicales en vogue à l’époque, de chansons italiennes (ses origines), ou des chansons à la mode à Broadway : Misty, Body and Soul, Stella by Starlight, All the Things You Are, etc. Ce sont finalement les airs qu’il n’a jamais cessé de jouer toute sa vie ! Et ces airs sont des standards, qui sont la base des échanges musicaux avec d’autres musiciens.
Connecting phrases
Son père – toujours lui…- lui demandait de remplir (Fill it up!), de ne laisser aucun blanc, donc Joe a pris l’habitude de connecter les fragments mélodiques, avec des phrases, des accords, des notes de basse, etc. tout un travail qui trouvera son aboutissement dans la série des enregistrements Virtuoso plus tard ;-)
Il insiste : le but n’est pas de glisser des arpèges ou des traits, mais de connecter les différentes parties de la mélodie ! Il ne s’agit donc pas de simples remplissages, mais d’une pratique beaucoup plus musicale…
La main droite
Accompagner les autres
Quand on joue avec un pianiste (Oscar Peterson par exemple…), vous ne devez jamais jouer des gros accords de 6 cordes (Big fat six strings chords). Si vous devez jouer avec un pianiste, Wait for the turnaroud! En attendant, jouez des inside chords (accords de 2 ou 3 sons sur les cordes Ré Sol Si), des accords neutres (ambigus, qui peuvent prendre différents noms selon la basse). Joe conseille d’attendre le turnaround parce que chaque musicien harmonique va jouer les turnarounds à sa façon (un pattern), avec les enrichissements qu’il aime (Malin !), et ce, quelle que soit la chanson !
Dans tous les cas, il faut garder les oreilles grandes ouvertes et faire aller (fit) avec ce que jouent les autres ! Si tu as un plus gros bagage harmonique que le gars que tu accompagnes, n’oublie pas que tyu ne peux pas le changer… Et il t’écrasera avec ses 88 touches ! Le truc, c’est de faire quelque chose de ce que lui fait (On dirait du Sartre, « La liberté, c’est de faire quelque chose de ce qu’on a fait de nous… ».
La matériel musical
Si vous devez jouer un II V, oubliez le II. Quand vous apprenez une chanson, apprenez-la le plus simplement, sans les II V et tout ça ! Uniquement avec les majeurs, mineurs et septièmes de dominante. Ne compliquez pas dans votre tête avec des noms barbares. Même si c’est ce qui est écrit dans les livres ;-)
Pour les mélodies en accords, gardez la mélodie à la première voix, sur les trois premières cordes. Le but est de faire de la musique pas de travailler dur (Not to make hard work).
« Les gens pensent que je joue une note de basse en même temps qu’un accord, en même temps qu’une mélodie, mais c’est une illusion… Vous jouez une note de basse de temps à autre, un accord de temps en temps, la mélodie la plupart du temps, et vous remplissez de manière à ce que tout soit fait dans le mouvement (motion). Si vous essayez de jouer une note de basse sur chaque accord de chaque temps, vous travaillerez huit mois sur une chanson, et quand vous la saurez, vous la jouerez tout le temps de cette façon… ».
En d’autres termes (les miens), il vaut mieux jouer avec votre tête qu’avec vos doigts… Les doigts doivent être pilotés par votre tête (et votre chant intérieur) sinon ça devient des notes sans âme ! On joue de la musique avant toute chose. Vous pouvez aussi relire mon article à cet effet…
Si vous essayer de placer des plans appris par cœur dans des tutos, ils ne vont jamais nulle part en fait…
Tout le monde s’en fout de savoir si vous savez jouer vite, vous faites de la musique pour communiquer ce que vous ressentez, comme un chanteur de blues par exemple ! Donc, c’est mieux de jouer moins de notes, mais des notes que vous entendez, des notes que vous êtes capables de chanter, ou de fredonner… Si vous jouez quelque chose que vous ne pouvez pas chanter, alors vous ne vous en souviendrez jamais !
Conclusion
A la vue de cette vidéo, on s’aperçoit que Joe Pass ne connaît pas beaucoup la théorie musicale, mais le peu qu’il en connaît, il sait le mettre en pratique, et c’est finalement ce qui nous importe… La grande leçon de cette interview c’est de jouer de la musique plutôt que de la guitare ! Si vous voyez la nuance… La deuxième leçon (pour moi), c’est de voir comment, à partir de petites briques de connaissance en théorie du jazz, il parvient à construire tout un discours très musical. Une grande leçon ! Merci Joe !