jackguitar

la guitare éclectrique de Jacques Vannet

Jack a dit...

La musique adoucit tout

Il n'est rien dans la nature de si sensible, de si dur, de si furieux,
Dont la musique ne change pour quelques instants le caractère ;

William Shakespeare (1598). Le Marchand de Venise

Qu’est-ce qu’une bonne chanson ?

Forme

Tonalité : Sol Majeur
Signature : 4/4
Forme : Intro | couplet 1 | couplet 2 | pont | couplet 3 | pont | couplet 4 | fin (une "vraie fin")

Supposons que vous ayez un contenu, c'est-à-dire que vous ressentiez le besoin d'exprimer quelque chose au reste du monde, vous allez utiliser un médium qui sera le vecteur de vos idées. En général, ce "choix" se fait rarement à posteriori d'ailleurs. Vous avez "décidé" d'utiliser le vecteur Musique, la forme est ce qui "collera" le contenu (l'intention) à la musique.

Dans cette analyse, je m'intéresse à une forme particulière dans la musique : la chanson. Particulière parce que la chanson est un genre "mineur", populaire. Une chanson c'est un texte (on dit plutôt des paroles) mis en mélodie, et accompagné (plus rarement harmonisé).

La chanson est-elle une forme musicale d'ailleurs ? Il semblerait qu'au cours du 20ème siècle, une forme se soit petit à petit dégagée, au moins dans le domaine des variétés :

  • une introduction courte
  • un premier couplet
  • un refrain
  • un deuxième couplet
  • un deuxième refrain (parfois doublé)
  • un pont (variante chantée ou instrumentale, chorus…)
  • un troisième couplet
  • le refrain ad libitum (avec fade out ou une fin après la répétition des refrains)

Si nous comparons ce modèle de forme-chanson "idéale" avec notre morceau des Beatles, nous remarquons tout de suite que les Beatles ne dérogent pas trop à la "règle" ici. Peut-être le pont qui revient plus loin est un peu moins habituel. C'est ici sans aucun doute une marque de jeunesse, et il faudra attendre les albums de la période studio pour voir des propositions de formes renouvelées

Harmonie

Je dois d'abord vous prévenir qu'on a plus affaire à l'harmonisation (accompagnement) d'une chanson qu'à la réalisation d'un exercice de contrepoint… Ceci étant entendu, nous pouvons maintenant aborder cette partie. La liste des accords utilisés n'est pas particulièrement inhabituelle en soi, mais il y a quand même deux ou trois trouvailles. L'accord irrésolu V de VI (B7 dominante secondaire) à plusieurs reprises dans les couplets est assez intéressant. Cette inclinaison vers la tonalité relative mineure se retrouve d'ailleurs dans d'autres chansons des Beatles (Not A Second Time, A Day In The Life, etc.)
Il ya aussi la modulation dans la tonalité du IV (DO Majeur), dans les ponts.

  • Intro
    C'est une ouverture classique qui rentre dans le "vif du sujet". Elle converge vers la tonalité principale (Sol) à partir du IV et se déplace rapidement avec de grosses syncopes, dans un crescendo important sur l'accord du V.
    Cette intro est de quatre mesures, mais elle démarre en anacrouse (Un temps et demi). Les syncopes placent les accents sur les croches en l'air des troisième et quatrième temps de la mesure, ce qui rend un peu difficile la perception du premier temps. Cette tension dès le début éveille l'intérêt en nous annonçant l'imminence d'une chose importante.
  • Couplet
    Cette section est de douze mesures, mais ça n'a rien d'un blues standard : | G | D | Em | B | G | D | Em | B | C D | G Em | C D | G
    L'analyse est simple : Sol – I V VI Mi mineur V7 (x2) | Sol IV V I VI IV V I
    note : le B de la mesure 4 agit comme un B7 mais rien dans le morceau ne laisse entendre qu'il en soit ainsi, impossible d'entendre le Ré#, note caractéristique de l'accord B7… Les guitares jouent plutôt un power-chord. La mélodie étant sur un Ré naturel, cette juxtaposition du Ré et du Ré# de l'harmonie sous-jacente, crée une tension typique du blues. Les deux premières phrases forment un couplet dans lequel chacune contient la même harmonie et même la mélodie, la seule différence étant que la première phrase se termine mélodiquement avec une descente au Fa#, et la seconde monte à cette même note (une octave plus haut que la première). La troisième phrase, avec son rythme harmonique accéléré (à la blanche), fournit une sorte de refrain en répétant le titre de la chanson ; ce mini-refrain permet de libérer la tension accumulée au cours du "couplet" précédent.
    Le climax mélodique intervient sur le premier temps de la mesure 10, mais à certains égards, ce n'est pas un vrai climax, parce que le point palpable de non-retour a lieu sur la montée vers le Fa# en voix de tête, mesure 8…Les deux premières phrases de chaque couplet pointent vers la tonalité relative mineure, via une cadence rompue (D -> Em -> B7). Dans la première phrase, cette dominante secondaire est comme suspendue car la phrase suivante retourne brutalement au I (G), comme si de rien n'était. Dans le second cas, l'accord de B7 est lui-même enchaîné via une cadence rompue (B7 -> C). Aux mesures 2 et 6 du couplet, on peut remarquer la note de passage chromatique Ré# qui suggère aussi le passage par la dominante secondaire (B7) pour aller sur Em.
  • Le pont
    Le pont a une longueur inhabituelle de onze mesures. Ceci est dû aux 8 mesures auxquelles sont ajoutées les mesures de l'intro qui viennent s'encastrer dans le pont…
    | Dm7 | G7 | C | Am | Dm7 | G7 | C | CCD CCD | D7
    L'analyse est simple ici aussi DO -> II V I VI II V I Sol -> IV V IV V
    Harmoniquement, nous avons une modulation par accord pivot dans la tonalité de Do majeur. Un contraste supplémentaire avec les couplets précédents est donné par la batterie qui utilise les charleys fermées et la guitare qui arpège les notes des accords.
    A la fin du pont, nous avons encore un bon exemple de trouvaille dans les parties vocales avec les quintes parallèles sur "I can't hide" la troisième fois.
  • Final
    Le final est ici développé comme une excroissance de la dernière strophe. La mesure n° 12 est modifiée pour la dernière fois ; au lieu de retourner sur le I (G), l'harmonie se déplace dans une cadence trompeuse vers la dominante secondaire V-du-VI (B7), puis vers la cadence finale de IV -> V… Mais, coup de théâtre ! La cadence plagale de la fin portée par des triolets de noires (effet de ralenti) !

6 réponses

  1. Bonjour,

    enfin une analyse interessante sur une chanson des Beatles ; une "vraie" analyse en profondeur émanant d'un musicien ayant une culture classique

    additionnée d'une culture "pop" ; un vrai décortiquage de la chanson avec des explications techniques ce qui est assez rare .

    Je vous laisse un lien d'un blog en cours d'élaboration ou je parle moi aussi des Beatles dans la rubrique mes compos, si vous avez quelques instants à y consacrer . musique-agora mes compos

    Je pense que l'essentiel du génie des Beatles est de ne pas être passé par un "moule" académique, par le fait de ne pas connaître le solfège et tout ce qui va avec c'est à dire le matraquage d'une musique tonale marqué par la musique classique Ils sont revenus à l'essence même de la musique, c'est à dire le naturel comme les chansons populaires anciennes ; sans le carcan de la mesure, des rythmes des tonalités et des règles d'harmonie . En cela, ils ont été aidé par l'apparition du jazz qui a fait volé en éclat tout cet académisme et ils ont su assimilé toutes les nouveautés apportées par le jazz et données dans le rock .Puis les heures passées de 1956 à 1962 notamment) à jouer des mélodies populaires de toutes sortes dans des caves enfumées (Chansons à danser, chansons de jazz, de comédies musicales de blues, de rocks ….) ont germées dans le cerveau de 2 mélodistes de génie qui ont révolutionner la musique de la fin du XXème siècle

    Voilà, Il y aurait encore beaucoup à dire sur les Beatles …. J'ai commencé sur mon blog

    Bravo pour votre site très interessant

                                   Jeff Piano

    le naturel, la mélodie qui coule de source

    1. Merci Jeff,

      Que dire de plus ? Nous aimons les Beatles tous les deux manifestement ;-) J’irai regarder votre blog à l’occasion. A suivre.

      Musicalement vôtre

      Jack

  2. « D’après certains auteurs, ce serait même la première chanson de l’histoire à employer le tutoiement… » Ah bon ? « Au clair de la lune, mon ami Pierrot, prête-moi ta plume pour écrire un mot », c’est un peu avant les Beatles, non ? :-) Mais c’est un détail, et en tout cas merci pour ces articles bien intéressants et formateurs !

    1. Bonjour Louis,

      Si « tu » regardes bien, l’auteur tutoie Pierrot, tandis que les Beatles tutoient… qui ?

      Merci à toi

      Jack

    1. Merci de ton retour sur mes différents posts. Malheureusement, je n’ai plus guère le temps d’en écrire de nouveaux, alors que j’ai de la matière…

      Salutations guitaristiques

      Jack

Répondre à Jack Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.