jackguitar

la guitare éclectrique de Jacques Vannet

Jack a dit...

Sur la voix

[...] la voix révèle la nature plus qu'aucun autre trait de la personne. Pour moi, je juge plus volontiers les gens sur la voix et sur le timbre que sur l'aspect ou la figure. Dans les œuvres musicales, la mélodie en fonction de l'harmonie naturelle à chacun est la voix même du musicien : car la voix de son art est la sienne. Qu'il soit mort depuis deux cents ans ou qu'il vive parmi nous, il est toujours là ; et ce qu'il ne veut pas dire de lui, sa musique le dit.

André Suarès (2013). Sur la musique , Actes Sud

Les précurseurs

Dans cet article, j’essaierai de montrer les événements qui ont amené à l’éclosion de l’art sonore, à travers une courte présentation de cinq musiciens du XXème siècle.

Erik SATIE (1866-1925)

Est-ce que je dois encore présenter Satie en 2009 ? Musicien anti-conformiste et volontiers iconoclaste, déçu plusieurs fois par l’institution musicale française, il suivra un parcours musical en dents de scie, atypique, laissant derrière lui de belles mélodies étranges (Gnossiennes, Gymnopédies), et des pièces « fantaisistes » qui en feront un des précurseurs de l’Art Sonore d’aujourd’hui. Il faut quand même rappeler, pour ne pas trop dramatiser la vie du personnage, qu’il était aussi plein d’humour et d’esprit ;-)

En 1893, par exemple, il écrit les vexations pour piano qui consistent en un thème d’une page à répéter 840 fois. En fonction du tempo, l’interprétation de cette pièce peut durer jusqu’à 24 heures…
[Vous pouvez écouter sur UbuWeb plusieurs versions sans piano des vexations]

Il est aussi l’inventeur du concept de musique d’ameublement, une lointaine ancêtre de la musique d’ascenceur d’aujourd’hui ? On considère cette musique comme la naissance de l’Ambiant Music chère à Eno.

John Cage sera profondément influencé par Satie et c’est même lui qui « réhabilitera » Satie en interprétant en public les vexations en 1963, à New York.

Edgard VARESE (1883-1965)

« Mon but a toujours été la libération du son, et d’ouvrir largement à la musique tout l’univers des sons »
Cette phrase de Edgard Varèse constitue une remarquable introduction à son travail de musicien. On peut effectivement créditer Varèse pour l’introduction de nouveaux objets producteurs de son dans l’orchestre classique.
Par exemple pour ionisation en 1931, l’instrumentation comprend 40 percussions à hauteur indéterminée, un piano (clusters) et 2 sirènes à manivelle, empruntées au Fire Department de NYC.

[écouter Ionisation sur UbuWeb] remarquez l’émancipation des percussions (1ère pièce pour percussions ?)

Une autre pièce importante est poème électronique, qui consiste en un enregistrement sur bande magnétique diffusé sur 425 haut-parleurs lors de l’exposition universelle de Bruxelles en 1958 . En même temps que la bande sonore était projeté un film réalisé par Le Corbusier.

[regarder la vidéo sur UbuWeb]

Luigi RUSSOLO (1885-1947)

« La vie antique ne fut que silence. C’est au dix-neuvième siècle seulement, avec l’invention des machines, que naquit le bruit. Aujourd’hui le bruit domine en souverain sur la sensibilité des hommes. Durant plusieurs siècles, la vie se déroula en silence, ou en sourdine. Les bruits les plus retentissants n’étaient ni intenses, ni prolongés, ni variés. En effet, la nature est normalement silencieuse, sauf les tempêtes, les ouragans, les avalanches et quelques mouvements telluriques exceptionnels. C’est pourquoi les premiers sons que l’homme tira d’un roseau percé ou d’une corde tendue l’émerveillèrent profondément. »
« L’art des bruits » manifeste futuriste – 1913

C’est avec ce manifeste que Russolo, peintre futuriste italien, entre dans l’histoire de la musique.Il y prône l’utilisation de tous les bruits et leur fusion dans une nouvelle musique. Il construira par la suite de belles machines étranges et les pièces qu’il créera donneront naissance à la musique concrète et à la musique électro-acoustique.

ressources

« The Art of Noise » à télécharger au fomat pdf
fac-similé de l’édition française
Page consacrée à l’art des bruits sur wikipedia
Ecouter Russolo sur UbuWeb

Marcel DUCHAMP (1887-1968)

marcel duchamp

Difficile de tracer un portrait exhaustif de Marcel Duchamp, tant son travail artistique a été décisif dans bien des domaines. Pour moi, c’est un des artises les plus importants du XXème siècle, pour ce qu’il a fait, par ce qu’il a dit. De tous les territoires abordés par Duchamp, la musique est peut-être le moins connu. On connaît très peu de pièces de Duchamp, mais la plus marquante est sans conteste erratum musical (probablement écrit en 1913). Cette pièce amènera la notion de hasard en composition, principe fondateur de John Cage par la suite…

Voici le « synopsis » de la pièce :

Pièce écrite pour 3 voix. Duchamp a écrit la pièce pour ses deux sœurs et lui-même – sur chaque partie est inscrit un nom : Yvonne, Madeleine et Marcel. Les trois voix sont écrites séparément et rien n’indique si elles doivent être jouées séparément ou ensemble (en trio).
Duchamp a composé cette pièce à partir de 3 séries de 25 cartes, une pour chaque voix, avec une seule note par carte. Chaque jeu de cartes est mélangé dans un chapeau. Les cartes sont ensuite tirées du chapeau une à une et on écrit la série de notes indiquée par l’ordre dans lequel elles ont été tirées.

écouter erratum musical sur ubu

Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore très bien Marcel Duchamp, vous pourrez apprécier son intelligence, son humour, sa culture, son génie quoi, sur UbuWeb, dans la page qui lui est consacrée. Une très belle interview pour Les mémorables.

John CAGE (1912-1992)

Le dernier musicien de cet article trouve tout naturellement sa place après Duchamp. Durant la période américaine de Duchamp, ils se sont beaucoup fréquentés, jouant aux échecs à New York…

Des cinq musiciens présentés dans ce papier, Cage est celui qui synthétisera tous les travaux des autres. Ses pièces pour piano préparé par exemple, mêleront la fantaisie iconoclaste de Satie, l’intrusion des bruits chère à Russolo et à Varèse, le hasard initié par Marcel Duchamp en musique (même si Mozart…). Il sera un des inspirateurs du mouvement Fluxus.

L’œuvre de Cage est si vaste (et pas seulement en musique…) que je ne peux en présenter ici que les principes les plus marquants :

  • les instruments « nouveaux » : piano préparé, jouets, radios etc.
  • le hasard
  • le i-ching
  • les performances (4’33 »)
  • les happenings
  • les events
  • le multi-média

Pour vous convaincre de l’immensité de la production de Cage, allez faire un tour sur la John Cage Database

La pièce musicale la plus célèbre de Cage est sans conteste 4’33’’ (1952). Dans cette pièce, pendant 4 minutes et 33 secondes, David Tudor prend place au piano, et ne joue aucune note. Il fait différents gestes, au gré de sa fantaisie, referme le piano, et s’en va. On voit bien ici l’influence de Satie. Pour moi, c’est une pièce ultime, qui nous fait atteindre les limites de la musique, tout en posant un tas de bonnes questions. Qu’est-ce que la musique ? Est-ce encore de la musique ? Peut-on faire 2 pièces différentes avec ce principe ? Que signifient les 4 minutes et 33 secondes ? Si ça avait duré 10 minutes, qu’est-ce que ça aurait changé ? Que note-t-on sur la partition ? Est-ce une œuvre originale ? Qui est l’auteur (musicalement parlant) ? Est-ce vraiment du silence ? Le silence existe-t-il ? La musique est-elle dans la partition ou dans son interprétation ? Y a-t-il besoin d’être musicien pour interpréter cette pièce ? etc. etc. On pourrait en parler pendant des heures ;-) Ce qui me fait dire qu’on a ici une pièce fondamentale.

avertissement

Pour finir ce chapitre, je dois vous dire que tous les musiciens présentés ici ont été – et sont parfois encore – considérés comme des plaisantins par l’institution musicale, alors qu’ils font ici figures de précurseurs…

Il me reste aussi à vous avertir, mais est-ce bien nécessaire, qu’il s’agit de 5 musiciens qui me semblent très importants, mais il y en a d’autres… Par exemple, Henry Cowell qui fut le prof de Cage à une époque. Certaines idées développées par Cage, existaient déjà en germe dans le travail de Cowell. Il est toujours très difficile de remonter à la source première d’une idée en art.

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