En cette période de fin d’année et de bonnes résolutions, j’avais envie de vous proposer un petit article pour vous motiver à vous (re)mettre au travail. Suite à la lecture de l’excellent livre de Gilles Vervisch – Comment ai-je pu croire au Père Noël ?, Max Milo Editions, Paris, 2009 -, j’ai trouvé un passage à ce sujet, bien mieux rédigé que je ne saurais le faire moi-même…
Je vous livre un passage fort intéressant sur la notion de travail et d’effort *. Chacun y trouvera ce qu’il y cherche !
Qu-est-ce que le travail ? N’est-il pas évident que le facteur Cheval travaille, lorsqu’il construit son palais pendant ses heures de loisir ? Il ne s’agit donc pas nécessairement d’une activité qui a pour but de subvenir à ses besoins. La seule chose que l’on retrouve toujours dans un travail, quel qu’il soit, c’est l’idée d’effort. Or, c’est justement ce qui semble donner toute sa valeur au travail. C’est que l’effort en question n’est pas stérile. Il a toujours pour but de produire un résultat ou un quelque chose. Il peut s’agir d’un objet matériel, comme le palais du facteur Cheval, mais aussi d’une idée […].
Et ce que l’homme crée par son travail, surtout, c’est lui-même (c’est moi qui souligne). En effet, d’où vient le sentiment de l’effort ? Par exemple, pourquoi faut-il faire un effort pour se lever tôt ? Parce qu’on est fatigué ! Ce sont donc mes besoins naturels qui me poussent à dormir, et l’effort vient du fait que je dois lutter contre cette tendance que ma nature m’impose, et par là-même, m’en libérer.
Certes, le poisson n’a pas à travailler pour être un poisson, puisque la Nature l’a constitué ainsi. Mais justement, cela signifie qu’il dépend de cette Nature dont il reçoit les caractéristiques qui le définissent en tant que poisson : il pond des œufs, possède des branchies, etc. Et le fait de nager pendant des heures ne changera pas sa nature de poisson. Au contraire, l’homme se réalise dans le travail, ce qui signifie que c’est par le travail qu’il devient ce qu’il est.
En effet, un guitariste n’est pas un poisson. Et ça n’a rien à voir avec le fait qu’il ne sait pas nager. Qu’est-ce qu’un guitariste ? C’est quelqu’un qui sait jouer de la guitare. Cela signifie qu’il dispose d’un certain savoir-faire pour manier son instrument, ce qui suppose qu’il dispose aussi des connaissances théoriques en solfège. Ainsi, quand on dit d’un individu qu’il est guitariste, cela signifie qu’il possède ces qualités qui permettent de le définir, à tel point que son talent constitue sa nature même et le distingue des autres. Pourtant, on ne devient pas guitariste comme on devient poisson. Le guitariste doit d’abord travailler ses gammes, parce que les mouvements qu’exige la pratique de son instrument n’ont rien de naturel. Il n’est pas évident de savoir déchiffrer une partition : il faut savoir à quelle note correspond le signe qui est écrit, et ensuite, comment la jouer sur sa guitare. C’est donc l’intelligence, ou du moins la pensée, qui est à l’œuvre quand on joue de la guitare. « La meilleure façon de marcher », qui consiste à mettre un pied devant l’autre n’est pas la « nôtre », c’est celle que nous a donnée la Nature. En revanche, la manière dont un guitariste joue de son instrument est bien la sienne, dans la mesure où il l’acquiert à force de s’imposer une discipline tout à fait douloureuse, parce qu’elle n’a rien de naturel. S’il n’effectue pas cet effort, il ne sera jamais guitariste. En revanche, s’il répète les gestes et apprend le solfège qui n’a rien d’inné, il finira par jouer de manière spontanée, sans même y penser, ni même ressentir d’effort. Pourtant, la maîtrise de son instrument, si parfaite qu’on dira qu’il est guitariste, il ne la doit qu’à lui-même. Le propre de l’homme, et ce qui le distingue des autres animaux, c’est donc qu’il se produit lui-même, et ce n’est que par le travail qu’il y parvient.
C’est sans doute la raison pour laquelle on considère la paresse comme un péché. Celui qui reste à bronzer sur la plage ne produit rien et se contente de satisfaire ses désirs et besoins naturels, à la manière d’un tournesol.
Comment ai-je pu croire au Père Noël ? – Gilles Vervisch
Cet article est bien sûr tiré presque intégralement du paragraphe Le poisson et le violoniste du chapitre Pourquoi travaillons-nous ? de ce livre (le violoniste est devenu guitariste pour mieux coller à l’image de ce site web). Vous apprécierez au passage la défintition que donne Gilles Vervisch d’un guitariste. C’est toujours intéressant de voir comment nous sommes perçus par un philosophe.
On citera aussi Fichte
Chaque animal est ce qu’il est ; l’homme, seul, originairement n’est absolument rien. Ce qu’il doit être, il lui faut le devenir
Johann Gotlieb Fichte, le Fondement du droit naturel, 1796
Chez Rousseau aussi
Car pour Rousseau, la musique, du moins comme mélodie, ne relève ni de la science ni de la simple nature, mais bien de l’humain, seul animal capable de se perfectionner, c’est à dire d’acquérir «en bien ou en mal» l’ensemble des qualités, vices et vertus, qui lui permettent de devenir «tout ce qu’il peut être» et non ce qu’il doit être. Car la perfectibilité, sur le modèle de l’imagination mélodique en musique, permet à l’homme de devenir vraiment humain et libre, comme il l’explique dans un chapitre du contrat social, et de quitter l’animalité bornée, stupide et soumise à l’instinct.
Alain Lambert, Première suite sur «La haine de la musique» de Pascal Quignard en continuant de relire Rousseau [url]
On retrouve aussi cette notion dans l’existensialisme contemporain « Faire et en faisant, se faire« .
Chez Sartre par exemple
Il n’y a de réalité que dans l’action ; elle va plus loin d’ailleurs, puisqu’elle ajoute : l’homme n’est rien d’autre que son projet, il n’existe que dans la mesure où il se réalise, il n’est donc rien d’autre que l’ensembler de ses actes, rien d’autre que sa vie.
Jean-Paul Sartre, L’Existensialisme est un humanisme, Éditions Nagel, Paris, 1946
Et voilà, maintenant, vous avez une (des) bonne raison de vous mettre enfin à travailler en cette nouvelle année 2011 qui s’annonce…
Bonne année et meilleurs vœux
Jack
Critique du livre de Vervisch sur tournezlespages
* avec l’aimable autorisation de l’auteur
Cher Jack,
merci pour cet article ainsi que tous les autres de ton site ! Un contenu toujours intéressant et de qualité.
bien musicalement
Matt Marguerite
Merci beaucoup de tes gentilles paroles.
A bientôt
Jack
Vraiment tres interressant, je suis un passionné de jazz, mais malhereusement dans mon pays il n’y a quasiment pas d’ecole de musique jazz, et j’ai du apprendre sur le tas à l’oreille. Je suis à la recherche d’un guitariste professeur à distance.
Dans le cas ou ca te dit, ou si tu as un contact à me donner, je reste en attente.
Merci
Bonjour Georges,
et merci pour tes gentilles paroles de là où tu viens.
Les cours à distance il y en a plein sur le web mais sincèrement, je ne sais pas ce que ça vaut… (je veux dire en qualité parce que pour le prix c’est pas donné)
Peut-être se trouvra-t-il un lecteur de ce site pour t’orienter…
Bonne chance
Jack
Cher Jack,
merci pour ce relais. Je ne sais pas ce qu’en pense mon éditeur, mais personnellement, je trouve plutôt sympa de faire référence à mon père noël. De toute façon, il y a les références.
Bonne année,
cordialement,
Gilles vervisch
Merci cher Gilles pour l’autorisation d’emprunter votre charmant Père Noël. J’ai adoré dévorer votre livre, que je n’ai découvert que très récemment grâce à Europe1.
En attendant de découvrir vos autres ouvrages.
Meilleurs vœux à vous aussi
Cordialement,
Jack